Corps, plaisir ressenti
Une douceur et sa force
L’extérieur me vibre sur la peau
Le désir vient de là
Ce corps et ce plaisir
Sont ma présence
Premier corps
S’affranchir du sexe
S’affranchir du genre
S’affranchir des rites
S’affranchir du sens
Drôle de rôle, ce sexe
Sexualité libérée
Aimer juste le monde
Unis en nature
Corps situé, binarité dépassée, corps social, corps incarnés... Depuis Simone de Beauvoir qui nous a
posé la colle du genre en instituant qu’être une femme était d’abord une construction sociale, jusqu’aux
échos exaltants des différents mouvements féministes, l’histoire des corps et des femmes comptent
quelques petites révolutions. De la rue jusqu’aux lois. Corps biologiques et identités de genre ainsi
dissociés n’ont pas fini de nous déplacer, de nous (re)situer. Un chemin oscillant entre aliénation et
émancipation, en recherche perpétuelle d’identification et d’une nouvelle appréhension de nos
conditions. Le féminisme, à l’instar de l’humanisme, libère les esprits, les corps puis les genres, nous
amène à nous affranchir de codes sociaux, assignés, devenus étouffants ou insensés à notre temps. Et
à jouir sans entrave. Puissantes expériences à tenter, des corps aux genres. Mais derrière ce soleil
brûlant une ombre ne lâche pas les corps. Une réalité qui crie comme une urgence. Libérés à la ville, les
corps de femmes sont restés, dans l’intime, pieds culs seins intriqués dans des rapports archaïques
d’homme à femme. Rapports hérités, selon l’anthropologue Françoise Héritier, des premiers humains qui
auraient organisé leurs pensées sur la base de l’altérité, du binaire, du même et du différent. Où la
femme serait pensée comme ressource de vie. Corps matrices, longtemps corps objets, non sujets. Si
sa place de sujet social a été gagnée au fil des siècles, son corps lui reste objet. Corps violentés, corps
non écoutés, corps dominés, comme si rien n’avait bougé depuis les temps immémoriaux. Le corps de la
femme reste une chose à la merci de l’homme. Et quand la femme accède aujourd’hui à plus de pouvoir,
on le lui reprend très vite. Au 21e siècle, le corps féminin est vulnérable au sein de son propre clan,
annihilant sa position d’égale de l’homme. A leur corps défendant, 52 000 femmes par an en France sont
victimes d’un patriarcat devenu indésirable (violence sexuelle), à contre-courant d’une évolution de la
pensée. Une domination persistante, insidieuse, à corps ouvert, invalidant les femmes depuis les
interstices du langage, des symboles jusqu’au coups fatals. Quel est le nom de cet acharnement :
nihilisme, retour masculiniste viriliste ? Dernier sursaut de reconquête ? Ou l’impossible évolution
générationnelles ? Le corps des femmes, resté lieu de domination d’une moitié de l’humanité sur l’autre
moitié, prédation. Il s’agit de rester le maître de ce corps, à l’endroit même où le mâle signe sa
différence, sa masculinité. A l’heure du glissement des frontières entre le féminin et masculin, cette
violence retrace la ligne de séparation pour mieux la violer. Le corps, ce territoire où la peur de se perdre
rend violent, où son intrusion rappelle qui est le maître. Alors que le féminin s’approprie de nombreux
domaines longtemps réservés au masculin, c’est sur son incarnation qu’il ne veut pas baisser la garde.
Mais nous vivons une période d’accélération où bougent les lignes : du féminin sur le masculin, de la
nature sur la culture, du sauvage sur la civilisation. Une fulgurante pensée appelle à sortir du rapport
binaire et à repenser les catégories. L’intersection sera ainsi appréhendée pour en finir avec les
oppositions devenues aveugles. L’entre. Cette ouverture est le reflet d’une nouvelle conscience ouverte
au possible dépassement des rapports de domination fondés sur des représentations qui n’ont plus lieu
d’être. Nos corps sont repensés, reconsidérés par le semblable, l’identique et le commun, et dans la
même ligne, les corps des animaux et du vivant tout entier. Il est temps d’écouter comment les corps,
féminin et masculin, avant même de se désirer l’un ou l’autre, désirent le monde d’abord en tant qu’être
humain. S’incarner, c’est d’abord ressentir dans ses entrailles et dans sa peau le vivant et le désir d’être
au monde. Le désir naît dans le mouvement de soi vers l’extérieur. On vibre d’abord en mode générique,
dans l’appel de la jouissance, de la connaissance vers le plaisir et non dans l’affirmation d’un genre. Si
on devient une femme dans les yeux d’un homme, on est d’abord puissance vivante et désirante offerte
au monde, à la douceur du soleil, à la fraîcheur d’une rivière. Une femme comme un homme, non brimés
par un prisme culturel, perçoivent de l’intérieur cet élan. Il est expression de la volonté de puissance et
de vivre. L’incarnation est d’abord une force en interaction avec les énergies du monde. Il serait temps
de donner, de permettre aux hommes la possibilité d’un désir en dehors d’une seule position de mâle.
Libérer le corps masculin de son injonction à dominer et posséder c’est l’ouvrir d’abord à lui-même et à
sa pleine sensibilité. Trouver la vérité des corps, dans une nouvelle vérité du rapport au monde.
Retrouver par là un état animal, un sauvage intérieur. Se déplacer pour se mélanger aux interstices, aux
entre-deux. Sortir de ces rapports bipolaires qui imposent un gagnant et un perdant, sortir d’une
civilisation pour y revenir transformé. Et enfin explorer toutes ces incarnations, du masculin et du
féminin, dans
leur positivité, leurs forces, leurs particularités, leurs différences, leurs ressemblances.
CJ
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